Julien SABY - Janvier 2001
TECHNIQUE
ET SOUVENIRS
Le
26 janvier 1971, le premier centenaire de la Rugby Union sera accompli
et cette saison, celle des invitations à toutes les Unions du monde
de participer aux manifestations, marquera le début d'une ère nouvelle.
C'est l'ère d'après le "concile" qui durant plusieurs
jours permit de définir fermement la volonté qui anime les responsables
de maintenir notre jeu dans son esprit, non pas seulement comme
activité physique, mais surtout comme moyen d'éducation morale.
Il était nécessaire de rappeler à tous les délégués, ces impératifs
qui à l'origine étaient réservés seulement aux Unions Britanniques,
c'est-à-dire aux rugbymen de même formation.
Avec
les moyens modernes de diffusion : presse, radio et surtout télévision,
le rugby sans être un sport de masse devient un sport connu sinon
pratiqué dans les deux hémisphères. Les joueurs français qui comme
nous ont débuté au temps de l'union des Sociétés Françaises des
Sports Athlétiques (création en 1887), qui en 1920 ont assisté à
la création de la F.F.R. sont marqués par l'esprit britannique.
Souvent discuté parce que mal compris, cet esprit apparaît avec
le recul du temps de plus en plus vital à notre jeu pour qu'il connaisse
son épanouissement.
SELON
LA TRADITION
Comme
tout le monde le sait, le rugby est né dans un collège lorsqu'en
1823 William Webb Ellis a enfreint les règles du football d'alors,
en courant vers les buts avec le ballon dans les bras. Depuis cette
époque, il est resté en Grande-Bretagne et dans les "Dominions"
d'essence purement scolaire et universitaire. En France, à la fin
du siècle dernier et au début de celui-ci, le rugby sport de ballon
le plus pratiqué était enseigné dans les Lycées et des les Universités
par des professeurs, ayant en général pratiqué en Angleterre comme
par exemple au Lycée Buffon à Paris. M. Charles Heywood, professeur
d'Anglais. Bien entendu ceux-ci dans leur enseignement, technique
d'abord, n'oubliaient jamais de souligner la nécessité de respecter
l'esprit du jeu, selon la tradition Britannique. Les premières rencontres
internationales furent organisées dès janvier 1906 All Blacks
à Paris 38 à 8, Angleterre 22 mars 1906 à Paris 35 à 8, Pays
de Galle 1908 à Cardiff 36 à 4, Irlande 1909 à Dublin
19 à 8 et Ecosse 1910 à Edimbourg 27 à 0.
De
ce fait, grâce aux enseignements recueillis par les joueurs en matches
internationaux (ils les transmettaient dans leurs clubs) et aussi
grâce à la venue en France de grands joueurs d'outre-manche, les
rugbymen français progressèrent et obtinrent des résultats flatteurs
:
-
1910, 11 à 3 à Paris
contre l'Angleterre, 8 à 3 à Paris contre l'Irlande
et enfin 1911 première victoire française 16 à 15 à Colombes
contre l'Ecosse.
LES
PROPAGANDISTES SUR NOTRE SOL
Parmi
ces propagandistes Britanniques, les plus connus ont été Percy
Bush à Nantes, Hayward à Tarbes, Griffiths à Perpignan,
Priest à Bordeaux, Gardiner à Lyon, Whitchall
à Grenoble, Owen Rose à Bayonne, Tom Potter à Paris,
à Pau et à Toulon. Mais ce sont : Owen Rose qui inspira le fameux
jeu bayonnais, faisant de l'Aviron le champion de France 1913 battant
le S.C.U.F. par 33 à 8 grâce à un Hand Ball effréné dont on parle
toujours et Tom Protter qui dans les trois clubs cités plus haut,
laissèrent une empreinte indélébile. Au début de notre carrière
nous avons eu la chance, par personnes interposées, de bénéficier
de leurs enseignements puisque nous avons joué sous la direction
de Paul Lamouret, élève de Tom Potter et René Lasserre,
Capitaine de l'équipe de France et élève d'Owen Roe. C'est de
tous ces efforts concertés qu'est née l'école Grenobloise qui jusqu'alors
a démontré une valeur certaine.
La
guerre est finie, dès 1919 le regroupement des principaux joueurs
de l'Equipe de France à Joinville permit de commencer un travail
de recherche avec Crabos, Borde, Jauréguy, Chilo, Dupont, etc… Les
résultat en matches internationaux s'améliorant le désir de progresser
au contact des Britanniques animait de plus en plus les clubs et
comités, puisqu'à cette époque seules la presse et la radio commentaient
les rencontres qui malgré l'intérêt laissaient sur leur faim les
passionnés de rugby. Le "de visu" manquait. Dès 1920 et
jusqu'à la rupture de 1931, les grandes équipes universitaires :
Oxford, Cambridge, Dublin, Edimbourg, Glasgow sollicitées, disputant
plusieurs matches permettant à un grand nombre de joueurs français
d'être opposés aux vedettes internationales des divers pays réunis
dans les équipes des universités.
FACE
AUX FRERES STEPHENSON
Par
exemple, en 1923, Oxford présentait à Grenoble en lignes
arrières une constellation mondiale : demi d'ouverture Lawton
(Nouvelle-Zélande), trois-quarts ailes Ian Smith (Ecosse),
Wallace (Australie), trois-quarts centres Mac Pherson
(Ecosse), Aitken (Ecosse). En 1922, à Grenoble, Cambridge
comprenait dans son équipe sept ou huit internationaux dont
les étoiles étaient nos amis : W.-W. Wakefield (capitaine
d'Angleterre), A.T. Young (demi de mêlée d'Angleterre), Francis
(demi d'ouverture d'Angleterre). De même, les sélections de l'Army
et de la Royal Navy firent aussi des tournées. Il nous souvient
que dans l'Equipe de la Navy à Grenoble, en 1921, jouait une aile
de trois-quarts, les frères Stéphenson dont l'ailier S.-V.
Stéphenson, notre adversaire direct pour ce match, a détenu
le record des sélections jusqu'à ces dernières années. Il y avait
aussi dans cette formation la paire de demis la meilleure de son
temps avec C.-A. Kershaw (mêlée, Angleterre) et W. J.A.
Davies (ouverture, capitaine, Equipe d'Angleterre), ainsi que
E.-R. Gardner (pilier, Angleterre).
De
ces contacts, une grande curiosité est née alimentée aussi par une
littérature britannique abondante qui a apporté et apporte toujours
des enseignements de valeur.
LES
BOUQUINISTES DE "CHARING CROSS ROAD"
Chaque
année en Grande-Bretagne et dans les "Dominions" s'éditent
un nombre important de livres. Il suffit lors d'un voyage à Londres
de prospecter chez les bouquinistes de "Charing Cross Road"
pour satisfaire tous vos désirs. Le dernier livre intéressant est
de Fred Allen, le fameux coach néo-zélandais (éditeur Cassell London).
La
Rugby Union a publié aussi différents traités, fort bien faits qu'on
peut se procurer à Twickenham. Ils concernent surtout l'enseignement
aux jeunes "schollboys". Il en est de même pour les films
et les bandes bouclées qu'il est souhaitable de connaître.
Il
est certain que le jeu pratiqué en rugby en 1823 était bien différent
de celui que nous connaissons. Du nombre de joueurs variable, la
forme du ballon, particulière selon la fabrication locale, en passant
par le hacking, c'est-à-dire de possibilité de donner des
coups de pieds dans les jambes des adversaires sont nées des controverses
et il fallut trouver un "modus vivendi" pour que le jeu
devienne moins confus, moins dangereux. Aussi après âpres discussions
et intervention violente de l'Ecosse en 1889-1890, l'International
Rugby Football board était formée. Y siégeaient alors douze
représentants, six de la Rugby Union, deux de l'Ecosse, deux de
l'Irlande et deux du Pays de Galles.
LES
REGLES SONT NEES DU JEU
Le
Board a, depuis sa création, comme mission qui est toujours restée
la même :
1.
Définir et interpréter
les règles du jeu,
2.
Contrôler sous toutes
leurs formes les matches internationaux,
3.
Contrôler les tournées
des équipes des différentes Unions.
Pendant
la saison 1929-1930, la répartition des représentants à varié. Les
Unions des "Dominions" étant admises, chaque Union a eu
droit à deux sièges. Le Board se réunit chaque année la veille du
match Angleterre-Ecosse dans la ville où le match sera disputé.
Durant
cette période de quatre vingts ans, de nombreuses modifications
aux règles ont été apportées, mais toujours avec grande modération
en fonction de l'évolution du jeu afin d'en sauvegarder l'esprit.
Pour ceux qui seraient curieux de connaître l'histoire de ces règles
nous conseillerions de trouver le livre de l'Admiral Sir Percy
Royds publié en 1949 par Walker et Cie à Twickenham.
De
l'origine presque à ce jour, il fait une analyse très complète prouvant
d'une façon indubitable que les règles sont nées du jeu.
Ceci justifie du reste les modifications apportées à ces règles
par le Board ces dernières années, et que Derek Robinson
a présenté sur le mode humoristique, mais tout de même précis dans
un livre édité par Pelham Books (Bedford Square London W.E.I.).
LES
EFFORTS DE LA F.F.R.
Depuis
la reprise des relations en 1940, les Unions Britanniques et le
Board ont toujours été attentifs et intéressés par les efforts que
la Fédération Française a sans cesse prodigués pour la diffusion
de notre jeu dans son esprit en France et dans les pays membres
de la F.I.R.A.. La reconnaissance vient d'être faite par l'invitation
officielle aux représentants de la France de participer cette saison
aux travaux du Board.
En
conclusion, nous sommes certains que dans le monde, notre jeu sera
toujours orienté comme le désire la Rugby Union et le Board avec
loyauté, en respect des traditions centenaires. Et nous sommes heureux
de penser que les travaux réalisés dans notre pays depuis plus de
quatre vingts ans ont permis au rugby français d'atteindre le niveau
des Unions du Board. Aux jeunes de poursuivre.
COMMENTAIRE
ACCOMPAGNANT L'ARTICLE "TECHNIQUE ET SOUVENIR" de Julien
SABY.
Dans
cet article, rédigé en décembre 1971, Julien SABY retrace l'évolution
de nos rapports avec le Rugby Football Union et jalonne l'histoire
du jeu de dates et de noms illustres au plan national et international.
Les
fervents les plus âgés, comme les plus jeunes trouveront dans ce
bref rappel comment s'est tissé le cheminement d'une organisation
qui se trouve aujourd'hui face à de très nombreux problèmes ; ceux,
notamment, qui découlent du professionnalisme.
Outre
ce rappel éminemment intéressant, nous retiendrons de cet articles
deux idées concernant le volet touchant aux modifications de règles
qui relèvent précisément de l'International Rugby Board.
Tout
d'abord l'idée que "les règles sont nées du jeu". Cette
idée est en effet majeure, elle reflète une vérité historique valable
non seulement pour un jeu comme le Rugby, mais pour toutes les activités
humaines ; il y a eu la vie, des groupes humains se sont constitués,
des rapports se sont établis entre les individus et les groupes
qu'il a fallu réguler d'où la nécessité des lois.
Cette
phrase, qui pourrait sembler anodine à certains, témoigne au contraire
d'une approche réaliste de la règle du jeu et contient une autre
idée essentielle : pour édicter des règles, pour les appliquer,
il faut d'abord comprendre le jeu. Le cheminement inverse conduit
à l'impasse et aux contradictions constatées dans les règles appliquées
ces dernières années. L'essai à 5 points, l'interdiction de botter
en touche, l'autorisation du lifting, le ballon rendu à celui qui
botte en touche après pénalité… etc, ont eu des effets inverses
à ceux qu'on attendait en favorisant les oppositions au lieu de
favoriser l'utilisation du ballon.
Les
législateurs ne sont pas allés, dans leur raisonnement, jusqu'à
réfléchir, anticiper suffisamment sur les effets pervers que ne
manquent de produire ces modifications de règles insuffisamment
rapportées à la connaissance du jeu. Les propos de Julien SABY sont
toujours d'une grande vérité.
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